Le développement de l’enfant et du « Moi » a été au cœur des recherches de nombreux psychanalystes, dont Mélanie Klein, John Bowlby, Donald Winnicott, Donald Winnicott et René Spitz. Chacun d’eux a apporté une contribution unique, explorant des aspects essentiels du développement affectif et émotionnel de l’enfant, notamment l’évolution des relations avec les figures d’attachement, la construction de l’identité, et la capacité à gérer les émotions. En combinant leurs théories, on obtient une vision complète des étapes clés du développement de l’enfant et de son « Moi ».
Mélanie Klein : la position schizoparanoïde et la position dépressive
Mélanie Klein, figure majeure de la psychanalyse des enfants, a mis en avant deux positions psychiques fondamentales dans le développement de l’enfant : la position schizoparanoïde et la position dépressive. Ces positions représentent des stades émotionnels et relationnels au cours desquels l’enfant apprend à structurer son « Moi » et à intégrer des expériences affectives complexes.
La position schizoparanoïde (0-3 mois)
Dès la naissance, l’enfant fait face à des angoisses primitives et à des besoins immédiats. Le « Moi » de l’enfant est encore fragile et ne distingue pas clairement le « soi » de l’« autre ». Cette période est marquée par une perception binaire du monde : le bon et le mauvais sont perçus comme distincts. Par exemple, le sein nourricier de la mère peut être perçu comme « bon » lorsqu’il satisfait l’enfant, mais comme « mauvais » lorsqu’il est absent.
Pour se défendre contre ces angoisses, l’enfant utilise des mécanismes de défense primitifs, comme le clivage (séparer le bon et le mauvais) et la projection (attribuer ses émotions négatives à des objets extérieurs). Ces mécanismes permettent à l’enfant de maintenir une certaine stabilité émotionnelle en gérant ses peurs internes.
La position dépressive (à partir de 4-6 mois)
À partir de 4-6 mois, l’enfant commence à intégrer l’idée que la personne qui le nourrit et le réconforte (la mère) est la même que celle qui peut parfois le frustrer. Il développe ainsi une vision plus unifiée et moins clivée de l’autre. Cette prise de conscience génère des sentiments ambivalents d’amour et d’hostilité envers la même figure d’attachement.
Cette phase entraîne une forme de culpabilité : l’enfant craint d’avoir « endommagé » l’objet aimé en ressentant des sentiments hostiles. Il développe alors des comportements de réparation, qui sont essentiels pour renforcer l’empathie et le lien affectif. Cette position dépressive est une étape clé dans la construction du « Moi », car elle permet à l’enfant d’accepter l’ambivalence et de développer un attachement plus sécurisant.
Ces positions psychiques, bien qu’intensément vécues pendant la petite enfance, continuent d’influencer la manière dont les individus gèrent leurs émotions tout au long de leur vie. Klein montre comment l’enfant passe d’un Moi primitif et clivé à un Moi capable d’intégrer des perceptions nuancées de lui-même et des autres.
John Bowlby : la théorie de l’attachement et la sécurité émotionnelle
John Bowlby, psychologue et psychiatre, a mis au point la théorie de l’attachement, qui met en évidence l’importance des premières relations affectives dans le développement de l’enfant et de son « Moi ». Selon Bowlby, les liens d’attachement que l’enfant établit avec ses figures parentales jouent un rôle fondamental dans sa capacité à développer un Moi stable et sécurisé. Si les parents sont dysfonctionnels, le moi va se construire de manière dysfonctionelle.
Les phases de l’attachement
Bowlby identifie plusieurs étapes dans le développement de l’attachement. Dans les premiers mois, l’enfant montre une préférence pour les personnes qui répondent à ses besoins, mais il commence rapidement à montrer un attachement spécifique envers ses figures principales de soin.
Entre 6 et 12 mois, l’attachement devient plus sélectif, et l’enfant cherche activement la proximité de ses figures d’attachement en cas de stress ou de peur. Cette proximité lui permet de se sentir en sécurité et de développer un attachement sécurisant.
Vers 2-3 ans, l’enfant commence à explorer l’autonomie tout en sachant qu’il peut compter sur ses figures d’attachement en cas de besoin. Cette base sécurisante est essentielle pour lui permettre d’explorer le monde en toute confiance et de construire un Moi autonome et résilient.
Les styles d’attachement
Bowlby, et plus tard, Mary Ainsworth, ont observé que la qualité de l’attachement entre l’enfant et son parent (ou figure d’attachement) influence le développement de son « Moi » et de ses relations futures. Les enfants ayant un attachement sécurisant sont généralement plus confiants et résilients, tandis que ceux ayant un attachement insécurisant (évitant ou ambivalent) peuvent développer des difficultés relationnelles et émotionnelles.
L’attachement sécurisé permet à l’enfant de développer un « Moi » stable, capable de gérer les frustrations et les séparations. Au contraire, un attachement insécurisant peut fragiliser le « Moi » et conduire à des comportements dépendants, anxieux ou fuyants.
Bowlby a ainsi montré que la qualité des premiers liens affectifs joue un rôle crucial dans le développement de l’enfant. Ces premiers attachements influencent la manière dont l’enfant se perçoit, se sent en sécurité, et interagit avec les autres.
Donald Winnicott : le « moi » véritable, le « moi » faux et l’importance de l’environnement
Donald Winnicott, pédiatre et psychanalyste, a contribué de manière significative à la compréhension du développement du « Moi » chez l’enfant. Il a introduit des concepts clés, comme le « Moi » véritable, le « faux self », et la notion d’objet transitionnel. Winnicott a mis en lumière le rôle essentiel de l’environnement dans la construction du « Moi » de l’enfant.
Le « moi » véritable et le « faux self »
Winnicott considère que le « Moi » véritable est l’essence authentique de l’enfant, qui peut s’exprimer librement dans un environnement sécurisant et bienveillant. Le véritable « moi » est naturel, original et en phase avec les besoins de l’enfant.
Lorsque l’environnement (en particulier les parents) ne répond pas de manière adéquate aux besoins de l’enfant, celui-ci peut développer un « faux self » pour se protéger. Le « faux self » est une sorte de masque qui permet à l’enfant de se conformer aux attentes des autres, mais qui l’éloigne de son identité authentique. Cette adaptation peut mener à une fragilité du « Moi » et à un sentiment de fausse identité.
Le Rôle de l’objet transitionnel
Winnicott a également introduit la notion d’objet transitionnel (comme le doudou ou la couverture), qui aide l’enfant à faire la transition entre la dépendance totale envers sa mère et l’autonomie. Cet objet transitionnel représente une première expérience d’indépendance affective et de relation sécurisante avec un « autre » non humain. Ce processus aide l’enfant à développer un « Moi » capable de gérer l’absence temporaire de la figure maternelle et favorise l’autonomie affective.
L’importance de l’environnement sécure
Winnicott insiste sur la nécessité d’un environnement sécurisant et « suffisamment bon » pour permettre à l’enfant de se développer harmonieusement. Le rôle des parents est de fournir une base stable et bienveillante, qui permet à l’enfant de se sentir en sécurité pour explorer le monde et exprimer son « Moi » véritable sans avoir à se conformer à des attentes extérieures.
Winnicott a ainsi contribué à la compréhension des conditions nécessaires au développement d’un « Moi » stable et authentique. Son approche met l’accent sur l’importance de l’acceptation, de la liberté d’expression et du soutien dans le développement de l’enfant.
Jacques Lacan : le stade du miroir et l’émergence du moi
Jacques Lacan, psychanalyste français influencé par la linguistique et la philosophie, a élaboré une théorie complexe du « Moi » et de la structure psychique. L’un de ses concepts les plus célèbres est le stade du miroir, qui représente une étape cruciale dans la constitution du « Moi ».
le stade du miroir (6-18 mois) : naissance du « moi » à travers l’image
Selon Lacan, le stade du miroir survient entre 6 et 18 mois. À cet âge, l’enfant est capable de se reconnaître dans un miroir. Lorsqu’il voit son reflet, il prend conscience de son propre corps comme une entité distincte et unifiée, ce qui marque la première étape de l’émergence du « Moi ».
Cette découverte a un impact profond, car l’enfant perçoit une image de lui-même qui est en apparence complète et cohérente, alors qu’il se ressent encore de manière morcelée et dépendante. L’image dans le miroir devient pour lui une sorte d’idéal de complétude auquel il aspire. Ce processus suscite à la fois de la fascination et de l’angoisse, car l’enfant prend conscience de son propre manque, ce qui alimente le désir de se constituer en tant qu’entité entière et autonome.
Pour Lacan, cette première image de soi est cependant un leurre ou une « imago » : le « Moi » que l’enfant construit est une représentation imaginaire de lui-même, influencée par la perception extérieure. Le stade du miroir inaugure ainsi une division entre l’image idéalisée que l’enfant perçoit et son être intérieur plus morcelé.
Le rôle du langage dans la constitution du « moi »
Lacan poursuit en expliquant que le « Moi » ne se construit pas uniquement autour de l’image, mais qu’il s’inscrit aussi dans le langage, qu’il appelle l’ordre symbolique. À travers les mots et le langage transmis par les figures parentales, l’enfant intègre les lois, les règles et les significations du monde extérieur.
L’enfant entre dans l’ordre symbolique lorsqu’il accepte l’interdiction du désir pour la mère, imposée par le père ou une figure paternelle. C’est ce que Lacan appelle la « fonction paternelle » ou le « Nom-du-Père ». Ce processus de renoncement inscrit l’enfant dans un réseau de significations et de normes sociales. Il découvre ainsi que sa propre identité est liée à celle des autres et se définit par rapport à des lois symboliques.
L’acceptation de cette loi est cruciale dans le développement du « Moi », car elle permet à l’enfant de se construire en tant qu’individu autonome, différencié des autres, tout en maintenant des relations sociales et affectives avec eux.
Le « moi » comme construction imaginaire et symbolique
Selon Lacan, le « Moi » est une construction imaginaire, une illusion de cohérence et de complétude. Cependant, ce « Moi » est aussi traversé par l’ordre symbolique du langage et des lois sociales, qui structurent la façon dont l’enfant se voit lui-même et perçoit le monde. Le stade du miroir et l’entrée dans l’ordre symbolique sont donc des étapes fondamentales dans la construction d’une identité relationnelle.
Cette vision du « Moi » comme image et construction symbolique implique que l’identité est en constante évolution et n’est jamais totalement fixe ou complète. Lacan montre que l’identité est construite à partir des relations et des représentations, ce qui rend le « Moi » fondamentalement malléable et en perpétuelle quête de complétude.
René Spitz : les premières relations et le développement émotionnel de l’enfant
René Spitz, psychanalyste et pédopsychiatre, a exploré les premières étapes du développement affectif de l’enfant, en soulignant l’importance des interactions avec la mère. Ses travaux mettent en évidence les graves perturbations du « Moi » de l’enfant qui peuvent survenir en l’absence de contact affectif. Les concepts de Spitz se concentrent sur les stades précoces et les effets de l’interaction mère-enfant sur le bien-être émotionnel et psychique de l’enfant.
Les étapes du développement affectif selon Spitz
Spitz a identifié trois stades principaux dans le développement affectif de l’enfant, chacun étant associé à une acquisition émotionnelle cruciale :
- Le Stade de la Pré-Objectalité (0-3 mois) : L’enfant, dans cette phase, ne différencie pas clairement le « soi » de l’« autre ». Il est en fusion avec la mère, et ses expériences se résument à des sensations corporelles. Son bien-être dépend entièrement de la satisfaction de ses besoins primaires.
- Le Stade de l’objet précurseur (3-8 mois) : L’enfant commence à développer un attachement spécifique à une figure de soin, souvent la mère. Il réagit aux expressions faciales de celle-ci, en particulier au sourire, qu’il commence à reconnaître et auquel il répond par le sourire social. Ce sourire est une étape marquante, car il montre que l’enfant distingue la présence d’un autre significatif et qu’il initie des interactions affectives.
- Le Stade de l’objet (8-12 mois) : L’enfant développe une relation plus stable avec la mère et commence à percevoir la séparation entre lui et elle. Cette prise de conscience entraîne une angoisse de séparation, car l’enfant réalise qu’il peut perdre la figure d’attachement qui lui procure sécurité et réconfort.
L’hospitalisme : Les effets de la carence affective
René Spitz a également étudié les effets de la carence affective chez les enfants séparés de leur mère ou qui ne reçoivent pas de soins maternels adéquats, phénomène qu’il a appelé hospitalisme. Lorsqu’un enfant est privé de contact émotionnel prolongé avec une figure d’attachement, il manifeste des signes de détresse, tels que le retrait social, la tristesse, et même des troubles physiques, comme le retard de croissance.
Spitz a démontré que le contact affectif et la stabilité relationnelle sont essentiels pour le développement du « Moi » et la santé mentale de l’enfant. En l’absence de ces interactions sécurisantes, le « Moi » reste fragile, et l’enfant peut développer des troubles émotionnels et relationnels durables.
L’importance de la Relation Mère-Enfant dans la construction du Moi
Pour Spitz, le développement émotionnel de l’enfant repose sur l’établissement de relations stables avec une figure d’attachement. Le contact affectif et les échanges chaleureux permettent à l’enfant de se sentir en sécurité et d’établir des bases solides pour son « Moi ».
Les interactions affectives, en particulier avec la mère, aident l’enfant à développer une image de lui-même et du monde qui l’entoure. En répondant aux besoins émotionnels de l’enfant, la figure maternelle lui donne les moyens de se construire un « Moi » stable et capable d’affronter les défis du développement.
